ŻIEME
par Austin Camilleri2014 – bronze, socle en pierre durePrésentée à Strasbourg dans le cadre du programme culturel de la Présidence de Malte du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe 2025DéclarationSean Buhagiar, directeur artistique du programme culturel de la Présidence de Malte du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe 2025Dans une ville façonnée par les institutions les plus stables d’Europe – le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme, le Parlement européen – Żieme ne se présente pas comme un ornement, mais plutôt comme une interruption. Cette figure à trois jambes, suspendue entre monument et absence, n’avance pas avec triomphe mais chancèle avec détermination. Elle perturbe la symétrie de l’autorité. Elle boit à travers l’architecture du consensus, créant un espace pour le doute où règne habituellement la certitude. Elle ne déclare rien ; elle interroge.Dévoilée pour la première fois en 2014 devant le Parlement de La Valette, Żieme n’a jamais été une simple sculpture. C’était une intervention. Un point d’interrogation coulé dans le bronze aux pieds du pouvoir national. Forgée par Austin Camilleri, sans doute l’un des artistes contemporains les plus importants de Malte, en métal et en silence, Żieme ne portait ni selle ni cavalier. Elle refusait la forme classique, la symétrie et la soumission.Certains y ont vu une critique du pouvoir. D’autres, un cheval qui court encore – malgré l’absence, malgré l’amputation. Żieme a divisé. Et c’est ainsi, de la confusion et du refus d’aller droit faire : déranger, perstir, marger le regard collectif. Aujourd’hui, plus de dix ans après sa création, Żieme en France – non pas comme une relique d’une dissidence maltaise, mais comme participation à un dialogue européen plus vaste. Żieme propose l’imperfection comme forme de doute, le comble comme résistance, l’absence comme récit.Le cheval est un symbole saturé dans l’imaginaire visuel européen – de guerre, de pouvoir, de conquête, de progrès. Mais que se passe-t-il lorsqu’une jambe vient à manquer ? Żieme est-elle brisée ou simplement conçue autrement ? Ce cheval est-il incomplet ou vient-il combler ce que nous refusons d’attendre ? Un animal qui naît à mi-jambe, Żieme est-elle née à un, à deux, ou à trois pas la jambe par la suite ? Nous ne le savons pas. Et c’est là qu’elle puise sa force. Le parcours de Żieme, de City Gate à La Valette jusqu’à la Place Broglie à Strasbourg, témoigne de cette tension entre quête géopolitique homogène, mais aussi un itinéraire de la fiction nationale à la réflexion transnationale. Żieme est un isthme aussi ici aujourd’hui qu’une réponse. Elle revendique un espace pour l’inachevé.La Place Broglie n’est pas une place neutre. C’est la scène civique de Strasbourg, siège de l’Opéra national du Rhin, et le lieu même où La Marseillaise fut chantée pour la première fois. Ici, dans ce berceau du rhème révolutionnaire le plus noble, Żieme ne galope pas, ne rugit pas, ne pose pas. Elle boîte. Elle hésite. Elle résiste au triomphe. Żieme est une sculpture européenne. Ses centres accrètent et repoussent. Elle est une pièce fondée non pas sur la création modernément entendue. Elle porte à la fois la dimension de l’intime, l’affirmation et la vulnérabilité. Żieme avance de travers, en déséquilibre, mais reste debout. Intégrer Żieme à cette Présidence, c’est inviter le doute dans le cadre. C’est suggérer que le projet européen, comme cette sculpture, demeure inachevé, asymétrique, mais toujours debout.
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Riduni nżomm fuq tliet saqajn flok erbgħa;On m’a dit de marcher sur trois jambes, pas quatre ;Ġarrewni f’nofs ta’ pjazza biex jarawni,On m’a traîné au milieu de la place pour qu’on me voie,U waqfu eżatt taħt taħt għar-ritratti.Et l’on s’est arrêté juste sous mon socle pour me prendre en photo.Sa ħassru l-aħħar ittra minn fuq ismi.On a même effacé la dernière lettre de mon nom.¹U jien qgħadt hemm inħares bla nintiffes.Et moi, je suis resté là à les fixer sans broncher.Qalu li: m’intx normali, m’intx bħall-bqija:Ils m’ont dit : tu n’es pas normal, tu n’es pas comme les autres ;M’hemm ebda re, ebda gwerrier xi ddawwar;Tu ne représentes ni roi ni guerrier ;M’hemm ebda dati miktubin taħt ħogrokIl n’y a pas de dates gravées sous ton flanc,U ħadd ma ġie quddiemek bl-uniformiEt nul n’est venu en uniformeJiserrħ il-kuruni kollhaom ward.Déposer des couronnes de fleurs à tes pieds.’Mma xorta ħrabt — vjaġġajt fuq tliet saqajn,Mais j’ai fui quand même — j’ai voyagé sur trois jambes,Għaddejt minn toroq twal, waqaft fi pjazez.J’ai parcouru de longues routes, je me suis arrêté sur des places.Staqsewni liem’ hi razzti, min wildni.Ils m’ont demandé quelle était ma race, qui m’avait conçu.Staqsewni qattx tellaqt, qattx ġrejt daqs riefnu.Ils m’ont demandé si j’avais déjà galopé, si j’avais couru comme le vent.Talbuni nirrakonta minn fejn ġejt.Ils m’ont supplié de raconter d’où je venais.Ma nafx mnejn bdejt, ma nafx fejn għad nispicċa.Je ne sais pas d’où je viens, ni où je finirai.Ma nafx għalfejn għamluni kif għamluni.Je ne sais pas pourquoi on m’a fait ainsi.Naf biss li anki int waqaft ħa tħares,Je sais seulement que toi aussi tu t’es arrêté pour me regarder,U qbadt ukoll sinjal tal-mistoqsijaEt que tu as saisi, toi aussi, ce point d’interrogationLi tant xtaqt tagħmilni ħalli nwieġeb —Que tu voulais tant me poser pour que je réponde —Għax għandi tliet saqajn jien differenti.Parce que j’ai trois jambes, je suis différent.Għax m’għandhi l-ħadd fuq dahri, jiena jien.Parce que je ne porte personne sur mon dos — je suis moi.
Ndt : Ziemel tire son nom du mot « ziemel » qui signifie cheval en maltais.Immanuel Mifsud12 juin 2025
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